jeudi 20 janvier 2011

Un convoi en Antarctique - Le matin

Voici que je tâche de reprendre le fil de ce blog, en vous présentant le principe de ce raid antarctique. En revanche, désolée, pas de photo, le moindre fichier attaché passe en... 20 minutes !

Donc... le "raid antarctique" est un convoi terrestre de transport de fret entre la base de Cap Prud'homme, sur le continent face à Dumont d'Urville, et la station franco-italienne de Concordia.

Cette fois-ci, pour le 45e raid, nous transportons près de 400 tonnes de matériel, fioul, vivres. Il y a 10 tracteurs challenger Caterpillar, et 2 kassbohrer qui sont des engins de nivellement. Côté humain, la plupart de mes camarades de raid sont mécanos ou techniciens car il faut au pied-levé parer aux moindres problèmes techniques (comme un démarreur qui ne démarrerait plus après la pause du midi). Mais la mécanique n'est pas tout, on a aussi le chef du convoi, Patrice, un médecin-cuisinier, Philippe, (qui pour le moment fort heureusement plus cuisinier que médecin). Il y a aussi Nathalie, ma roomate de caravane-vie, permanente de l'IPEV.

Le principe de progression en convoi est assez simple : nous formons un long ruban d'engins et de charges, avançant à 10 km/h en moyenne, dans une immensité blanche indescriptible... Sauf que, pour corser le tout, et renforcer la puissance de traction, les tracteurs sont élingués deux à deux. Une sorte de synergie s'opère dans les puissances. La difficulté principale est alors de partir de façon synchronisée... ni trop fort - pour ne pas casser les élingues - ni trop mou - pour ne pas se retrouver posé sur le ventre ! Après quelques jours, les novices, dont je fais partie (avec aussi Jean-Luc) semblent maîtriser parfaitement la manip. Ouf !

Il y a aussi tout un art de positionnement des charges. Notamment en respectant l'alternance des longueurs. En cas de plusieurs charges similaires, il se crée une "raisonnance" dans le terrain qui se transforme vite en montagnes russes, avec des creux-bosses qui frôlent le mètre !

Pendant toute la journée, nous restons en communication grâce à la VHF afin de signaler notre position... ou de balancer quelques vannes gentilles aider par l'écoute en boucle des Grosses Têtes.

Le matin, après un petit-déj copieux, les mécanos se chargent de démarrer les tracteurs qui, pendant la nuit, sont restés branchés au générateur afin d'être chauds. Au moment où j'écris ces lignes, il fait tout de même -27° !

Ensuite, on prend possession des engins, après avoir ouvert les lourds rideaux qui protègent les radiateurs. Cet aménagement des Challenger fait partie du processus de "winterisation" (adaptation aux températures extrêmes) réalisé pour l'IPEV et mis au point après des années de RetEx.

Après quelques minutes de chauffe, gaz à fond pour détendre les chenilles, chacun va à sa place dans le convoi et re-élingue ses charges. Le conducteur gère les élingues devant et derrière lui. Cela évite des déplacements inutiles (et fatiguant une fois en altitude) d'un tracteur à l'autre. Pour cette manip', après quelques jours d'expérience, on aura compris qu'il faut se munir d'un marteau et d'un long tournevis... Pourquoi ? Pour casser la glace qui s'est invariablement formée autour des manilles. Des manilles plus grosses que mes mains, histoire de résister à plusieurs tonnes de tractions... on est loin de la petite manille que chaque voileux possède en guise de porte-clefs !

Premières vérifications de positionnement par Patrice et les démarrages commencent. Par sotte superstition, je ne me déshabille pas tant que tout le monde n'est pas parti. Car en cas de pépins, un autre tracteur viendra s'élinguer devant pour renforcer la puissance de traction... ce matin, on a quand même mis une bonne heure pour décoller une cuve !

Ensuite, une fois en route, on se met à l'aise... si je vous dis qu'on conduit en chaussons... Si, si ! Avec le soleil qui nous tourne autour il fait vite très chaud dans la cabine, et avec -30° dehors, on peut avoir facilement 20° dedans... d'où t-shirt, crème solaire et charentaises. Les grosses Sorel (chaussures de glacier résistant à -70°) et la VTN (combinaison grand-froid) servent... d'oreiller, car c'est l'avantage de l'élingage, celui qui se fait tracter n'a pas grand chose à faire si ce n'est régler sa vitesse et son régime moteur sur l'engin qui le précède.

Sauf que... ne pas avoir grand-chose à faire n'est pas forcément l'idéal. Car l'ennui pourrait être un ennemi redoutable. Heureusement le paysage change tout le temps. Une fois qu'on a dit que c'est grand, que c'est blanc, que c'est une ligne d'horizon sans début ni fin... il y a un tas de subtilités à trouver.

Et puis ça n'est pas blanc. C'est gris, c'est bleu, des milliers de gris. Des milliers de bleus. C'est un peu rose. Pas trop orange (en s'éloignant de DDU et en s'approchant du pôle Sud géographique, la nuit est encore moins "nuit").

Je crois que je resterai marquée à jamais par la beauté et la virginité du lieu : les sastrugis n'ont aucune échelle, ils pourraient aussi bien être des reliefs de centaines de mètres, les ombres ne sont jamais les mêmes, la moindre présence de l'homme - lors d'un précédent raid - est immédiatement remarquée par une rupture dans le rythme des sastrugis, par une congère plus haute que d'habitude, par un bloc oublié par les kassboher.