mardi 11 janvier 2011

J'ai marché sur la terre

Ce matin, 11 janvier, dès le petite-déj', annonce de Patrice, responsable logistique : "On part à Prud'homme" pour un petit tour de base afin de savoir ce qui nous attend. La base Prud'homme est une station franco-italienne, avant-poste de Concordia, qui se situe sur le continent à 5km de l'ile des Pétrels où est DDU. Sur le continent… puisque contrairement à l'Arctique, l'Antarctique est une terre couverte de neige. La neige d'eau de mer c'est la banquise, la neige de terre, c'est la calotte… entourée de spécialistes, si je me plante je rentre à la nage derrière R4 !

Après un vol en hélico nous voilà donc déposés à D3, balise géographique un peu en amont de Prud'homme. D3 est la zone de constitution d'une partie du raid. L'hélico repart et nous restons à cinq sur la neige immaculée. Sur le continent.

Depuis maintenant près d'une semaine en Antarctique, je ne pensais pas ressentir autant d'émotions à "marcher sur la terre"… on pourrait presque prétendre à une vibration tellurique et, une fois l'hélico éloigné, un silence absolu. -273 décibels !

Nous faisons le tour des traineaux du raid, et plusieurs générations de savoir-faire se succèdent : comment gérer la ligne de traction sur une cuve de 30 T ?, comment penser l'adaptation et l'amortissement au terrain ? La résistance des matériaux ? le ration poids remorque/charge qui est optimum à 3 (1T de remorque pour 3T de fret) ? Jusqu'à la couleur de certaines cuves qui, noires, préservent autant que faire ce peut l'état liquide du fioul en le chauffant naturellement.

Nous découvrons aussi les deux caravanes - vie et énergie - qui seront notre maison pendant les 25 jours (prévus) que durera le raid vers Concordia. Je suis très agréablement surprise par le confort de lieux. Les caravanes sont réalisées dans des containers isothermes. La caravane vie est chauffées à 20° et peut accueillir 8 personnes avec couchage (lits superposés classiques), cuisine où l'on prend les repas (je n'ai pas rêvé… j'ai vu une plaque de cuisson vitrocéramique et un four…), salle radio (avec radio, telex, inmarsat et iridium… selon le principe de redondance des organes vitaux), mini-infirmerie (puisque le raid embarque systématiquement un médecin)… confort, mais dans un mouchoir de poche car je me retrouve dans des formats proches de ceux rencontrés en sous-marins !

Dans la caravane énergie, la salle de bain (douche et lavabo) et les fameux toilettes Incinolet qui atomise le solide par 800° ! Là, les filles, gros moment de solitude… on ne fait pas pipi dans l'Incinolet sinon ça ralenti le processus d'incinération quand ça ne fait pas - parait-il - un méchant court-circuit.

Après quelques minutes de marche, nous arrivons en aval, sur D1, la station proprement dite. C'est un peu la "campagne" comparée à DDU qui serait la ville, mais les installation sont plus récentes et très confortables : le bâtiment vie regroupe la salle à manger, les chambres et les sanitaires, et bénéficie en grande partie d'un toit en sandwich transparent. La salle à manger ouvre sur plateforme élargie aux airs de terrasse, grâce à une large baie-vitrée. On s'attendrait à voir au premier plan le sable et derrière la mer… ici c'est la neige et derrière la mer… sous le même soleil consciencieux.

Tout ça fait un peu camp de vacances, un peu loin, parfois, de ce que je m'attendais à vivre durant une telle aventure. Mais profitant d'un moment de solitude (dure à trouver avec cette promiscuité perpétuelle), je regarde vers le continent… vers la ligne d'horizon qui se courbe comme en pleine mer… mon sujet est quelque part dans cette immensité.

Confiné.

Isolé.

Hostile.

Extrême.

Confins.

De la terre.

De moi-même.

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